NFT, NON FONGIBLE TOKEN

Une histoire pas si récente


Imaginez le nombre de fichiers qui circulent aujourd'hui dans le monde depuis nos ordinateurs et le réseau dans son ensemble. Imaginez donc que l'un de vos fichiers devienne unique, dont le « certificat » serait non reproductible, traçable, bref on a ainsi donné de la valeur à ce qui n'en avait pas avant. Le monde numérique nous a envahis, nos vies sont en partie sur les réseaux, et les réseaux ont trouvé un moyen technique pour authentifier une partie de nos activités, pas mal non ?

Dubaï - Mars 2022
(Photographie Laurent Lehmann)

D’un point de vue technique et juridique, un certificat est authentifié avec la technologie très sécurisée, la fameuse blockchain. Le fichier qui est attaché à ce certificat, en soit n’a pas beaucoup de valeur, sauf si vous lui attachez un jeton, un token en anglais qui permet comme un poinçon de lui donner un caractère original, unique, c’est cela un NFT. Attention cela ne veut pas dire qu’il n’est pas reproductible, le fichier c’est du numérique vous pouvez en faire autant de copie que vous voulez, en revanche le jeton auquel est attaché le fichier est unique, et on comprend que c’est lui qui a potentiellement de la valeur.

 

« Non Fongible » signifie en français, qui ne peut être interchangeable, échangé contre un double. Jusqu’ici nous étions habitués à des valeurs fongibles entre elles, comme l’or, le dollar, ou bien plus récemment les crypto monnaies.

 

Pour approfondir ce panorama, il faut bien comprendre que les NFT ne transfèrent pas un droit de propriété, ce n’est pas une transaction qui vous garantit que vous êtes propriétaire des droits d’auteur, ce qui est authentique, c’est juste le certificat qui est attaché au fichier, mais rien ne vous garantit que le fichier soit original et a bien été validé et créé par untel. Ce qui explique que 99% des NFT en circulation ne se vendent pas ou peu, le 1% restant est très spéculatif, car très dépendant de l’écosystème qui le supporte comme le type de crypto monnaie utilisée, la plateforme utilisée, la pouvoir d’influence de son titulaire sur Twitter.

Dès lors, n’importe quels objet, service, ou idée peuvent être authentifiés via cette méthode.

 

Par ailleurs, on voit bien que nous entrons avec les NFT dans un phénomène plus vaste et large, celui de l’économie virtuelle, qu’il nous faut apprendre à décrypter, comprendre, elle en est à ses balbutiements. Mais elle ne fera pas encore l’objet de ce court article de vulgarisation.

 

Pour restreindre notre focal, intéressons-nous au monde de l’art qui a permis de populariser une notion très présente dans les jeux, le « gaming » qui prend son essor au tout début auprès de éditeurs de jeux de Fornite puis plus tard de Minecraft. Pourquoi le monde de l’art s’est-il intéressé aussi tôt à cette possibilité ? Sans doute parce qu’il est originellement troublé et gêné par la question du double et du faux. La possibilité demain, d’authentifier tout, de façon irréfragable est en soi, une très bonne chose. Là encore, lisez bien entre les lignes, rien ne vous empêche de créer autant de jetons, token sur des fichiers qui seraient aussi des copies d’une œuvre elle-même déjà authentifiée. Mais il n’existe qu’un seul NFT de cette œuvre, ou autrement désignée « crypto art » et non simplement comme « art numérique », signé de vous.

  

Maintenant lorsque l’on parle d’art, de crypto art, de quoi parlons-nous ?

Commençons par parler des artistes déjà établis, ce sera plus facile. Des œuvres non originales sont perçues comme des œuvres d’art depuis toujours. Rodin a fait fondre beaucoup d’exemplaires de ses sculptures originales, et personne n’en est troublé, une photo de Gursky est vendue à cinq exemplaires ainsi que des tirages spéciaux ou épreuves d’artiste, etc. Donc la question de l’unicité n’est pas le sujet central du monde de l’art. Toutefois pour certaines œuvres, revendiquées comme uniques et attribuées, une peinture de Georges de Latour par exemple, cela restera intrinsèquement une vraie question, et la valeur sera directement attachée à l’unicité de l’œuvre du peintre, aux côtés de sa place dans l’histoire de l’art, sa technique, ses collectionneurs, son volume de production, l’époque où il a vécu, vivant ou non…

 

Pour les NFT et plus particulièrement le crypto art, ce qui donnera indubitablement de la valeur à une œuvre numérique, ce sera son caractère original, nouveau, une forme, une animation, un effet, enfin un message, qu’on aura su créer avec l’aide d’un ordinateur. Une œuvre qui ne pourrait pas exister autrement, telles les réalisations de Trevor Jones.  Ça, c’est le monde parfait. Ce qui trouble l’image des NFT c’est que vous voyez circuler des figurines un peu ridicules et assez grossières, qui sont un vrai pied de nez à tout jugement esthétique, soit.

 

Dans le numérique, il faut savoir développer et utiliser des codes ou des logiciels, savoir jouer en ligne aussi.  Il y a ainsi un côté très geek dans cette culture et elle a ses habitudes, ses communautés, son esthétique et sa génération. C’est à ce point précis que tout est brouillé. Les geeks, les joueurs, utilisent les NFT comme un nouveau champ de collection, ils ne pensent pas vraiment à l’art, ils collectionnent ce que l’on appelle des « collectible », des images qui ressemblent plus à de collections d’images que l’on échange sur les bancs de l’école, ou au cœur des jeux, comme des avatars, des masques, des armes, ce sont des objets numériques et des laboratoires de développement ou des éditeurs sont en général derrière. Ils ont ainsi popularisé les NFT car très vite l’unicité a permis d’ancrer une valeur. Cette valeur, associée à des crypto monnaies a fini de confondre la valeur de certains « collectible » avec les cryptos ayant permis l’achat. Ces achats se font au moyen d’un « wallet », votre portefeuille de valeur qui a été chargé au préalable avec de l’argent ou des cryptos en provenance d’un autre wallet.

  

Pour mieux comprendre le phénomène, il est nécessaire de raisonner en strates non hiérarchisées car elles se cumulent :

o   Une abondance de créations numériques et la possibilité de copier-coller

o   Une création numérique, pas toujours originale,

o   Un certificat ou jeton qui authentifie le fichier,

o   Une plateforme d’échange pour faire savoir que vous possédez un NFT,

o   Des laboratoires qui spéculent sur leurs développements et leurs figurines,

o   Une communauté qui s’enthousiasme pour la nouveauté,

o   Des crypto monnaies sécurisées dans vos portefeuilles numérisés ou « wallet » sans qui rien ne se fait.

o   Une envie furieuse de revenir aux origines du web avec sa version 3.0 décentralisée sans tiers de confiance malgré tout et encore moins un GAFAM.

 

On ne s’étonnera plus alors de l’emballement que forment cet ensemble un peu disparate et qui selon l’angle avec lequel vous décidez de le regarder insiste sur le caractère spéculatif, technique, culturel, artistique ou tout à la fois.

Laurent Lehmann, le 30 mars 2022