LES ENJEUX DU GRAND PARIS

Penser et voir grand


La conférence des territoires, ouverte par Emmanuel Macron au Sénat, le 17 juillet 2017, a mis à découvert des possibilités inédites en matière d’autonomie, d’action différenciée de l’État et d’incitations aux économies de fonctionnement. Le point d’alignement de ces mesures semble être le Grand Paris. Pour les professionnels de l’immobilier, il y a là une annonce importante sur l’efficacité de l’organisation administrative qui va être revue pour simplifier l’imposant et indigeste organigramme de la gouvernance de l’Île de France.

Article original publié par la revue Office et Culture n°45 - Septembre 2017

La gare de Saint-Denis-Pleyel, axonométrie sud-ouest.(document : agence Kengo Kuma & Associates)

La gare de Saint-Denis-Pleyel,
axonométrie sud-ouest.
(document : agence Kengo Kuma
& Associates)

Je proposerai les bases du Grand Paris qui, aujourd’hui, est au milieu du gué en raison d’une structuration trop complexe ». Le Président a été clair et le passage à l‘action sera pour cet automne, à l’occasion d’une conférence territoriale du Grand Paris. Nous changeons une nouvelle fois d’échelle, mais cette fois, l’action sera d’ordre méthodologique, ce qui n’enlève rien à la vision de 2007, de Christian Blanc et Nicolas Sarkozy. Il s’agit de remettre en route une ambition, affirmée de longue date, qui encourage le développement de la ville et ainsi, de reprendre un chantier historique.

L’histoire du Grand Paris est ancienne. Dès 1790, les départements de la Seine, la Seine et Oise et l’actuelle Seine et Marne formaient ce que l’on appela, plus tard, le district de la région parisienne. Haussmann, puis André Morizet, ne voyaient, quant à eux, aucune limite d’est en ouest, pour étendre le rayonnement de la ville-capitale. C’est finalement la suppression du département de la Seine par de Gaulle, en 1964, qui a enterré pour longtemps ce projet, relayé par une autre interprétation, celle des villes nouvelles. Depuis dix ans, nombreux ont été les écrits et les prises de parole sur le sujet. Dans le cadre de cet article, pour simplifier le propos, nous nous en tiendrons aux seules publications de la Société du Grand Paris, l’outil opérationnel et la courroie de transmission entre les nombreux acteurs institutionnels et privés du projet. Ce qu’il faut retenir de ce chantier c’est qu’il nous mènera loin, durera au moins 20 ans, modifiera profondément l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie immobilière et transformera le volume et les pratiques du marché. Comment, alors, évaluer avec justesse cet impact, comment anticiper la transformation de notre industrie et comment ne pas surajouter à tout ce qui a déjà été dit et présenté ?

Le développement économique et politique se fait depuis toujours de façon radio concentrique. Prenons l’image d’une roue de vélo et imaginons que le moyeu et les rayons forment l’infrastructure des transports en région parisienne. Le projet du Grand Paris Express, le futur métro automatique, permettra de relier ces rayons qui tournaient sans roue. Cette nouvelle infrastructure de transport en commun sera, en quelque sorte, la motrice qui entraînera la région parisienne jusqu’au Havre et, peut-être demain, jusqu’à Londres. Mais n’anticipons pas !

La place des porteurs d’études, des aménageurs, du politique, du BTP et des opérateurs de transports ne fait pas débat. Les travaux ont commencé, les tunneliers nécessaires au creusement des tunnels sont à pied d’œuvre et les premiers marchés attribués. Les 68 nouvelles gares sont aux mains des équipes lauréates depuis plusieurs mois. Enfin, le lancement du chantier de modernisation et d’extension du réseau existant de transport est confirmé par la mobilisation d’une enveloppe d’investissement de 12 milliards d’euros. De leur côté les professionnels de l’immobilier ne sont pas encore mobilisés mais c’est un peu la loi du genre. Ils interviennent sur une matrice foncière en cours de constitution et créeront de la valeur d’abord et autour de certaines gares. En quoi ce projet va-t-il transformer leur approche et leur professionnalisme, quel impact sur leur organisation, leur structure de coûts, leur taille critique ? Le couple formé par les investisseurs et les promoteurs est essentiel pour une bonne compréhension de l’état des lieux. Proportionnellement à la faiblesse des financements publics,  leurplaceagrandi,  etsichacundevient « acteur de la ville » (comme ils aiment désormais se définir), ils n’en assument pas moins une partie du financement. Ils maîtrisent ainsi leur nouveau rôle au sein de la chaîne de fabrication de la ville. La pratique des consultations de son côté a ouvert le jeu et ainsi conforté les échanges pluridisciplinaires, nécessaires pour accompagner d’un indispensable bol d’air les innovations.

Mais ne nous y trompons pas. La hiérarchie des opérations a changé et c’est désormais moins l’intérêt commun, qualitatif ou collectif, que la faisabilité financière qui domine l’exercice (avec des résultats variables). La formidable machine à segmenter la vision d’ensemble est en marche depuis longtemps, et les projets, dans leur ensemble, auront une moindre qualité de réalisation. La ville n’est pas un bilan de promoteur et elle se concrétise difficilement sans une vision long terme du territoire. Témoins obligés de ces mutations, les observatoires et les nouvelles formations, à l’image de la chaire Aménager le Grand Paris, lancée ce mois-ci par l’école d’urbanisme de Paris. L’un de ses fondateurs, Gilles Bouvelot, président de l’établissement public foncier d’Île de France rappelle pourquoi il est nécessaire de mieux conceptualiser dans l’enceinte universitaire ce changement auquel nous invite ce chantier hors norme.

Prenons la question environnementale. EDF en est une partie prenante de premier plan. Sa déléguée régionale, Catherine Lescure, rappelle que le Grand Paris se traduira, à terme par 12% de consommation électrique supplémentaire. Or, la région parisienne importe 95% de l’électricité qu’elle consomme (les 5% résiduels sont d’origine géothermique). On comprend qu’EDF souhaite que ce territoire d’expérience devienne un laboratoire de la ville XXL du futur qui utilisera une électricité décarbonée produite par le couple nucléaire/hydraulique. Les professionnels de l’immobilier qui participent aux concours Réinventons la métropole sont désormais imbattables sur les innovations qui touchent à la concertation, à l’environnement, aux mobilités, aux nouveaux matériaux sans parler de la smart city.

Pour la question de la mobilité, appuyons-nous sur les travaux menés pour la Société du Grand Paris par l’agence Attoma. Le Grand Paris a créé une initiative unique qui fera école. Un schéma directeur des services dont le but est de permettre à chaque futur usager d’un réseau de transport en commun dont la taille aura doublé, de se repérer facilement et sans ressentir de rupture. L’expérience du voyageur sera le point focal de cette initiative en design de signalétique. Guiseppe Attoma nous montre la voie des futures mobilités, qui n’attendent qu’une simplification de la gouvernance et de la réglementation pour centraliser le pilotage des réseaux (routes, taxis, trains, métros) à l’image de ce que Londres a mis en place, avec la création du Transport for London, l’organisme qui gère les transports du Grand Londres.

Dans un registre méthodologique, mais tout aussi vital, l’apprentissage de la concertation, des modes collaboratifs, des partenariats de projet en amont, modifient le positionnement des acteurs. On s’éloigne d’un urbanisme vertical, hiérarchique pour aller vers un univers de projets contractualisés, un hybride entre les marchés et l’acte d’aménagement contractualisé type ZAC. C’est ce que rappelait Thierry Vilmin chercheur et consultant en aménagement, qui intervenait aux 3e Rencontres de l’aménagement opérationnel, en juin dernier. Il y est apparu que le problème foncier, à défaut d’être maîtrisé rapidement, pourrait devenir un réel frein.

En termes d’économie de marché Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris, aime à énoncer des chiffres qui frappent les esprits. Ainsi dans un rayon de 800 mètres autour de certaines gares (Bagneux, Clichy-Montfermeil, Villejuif, Cachan, Saint Maur-des-Fossés, Créteil l’Échat, Aubervilliers, par exemple), le marché immobilier va devenir particulièrement animé. On évalue pour le moment à 450 000 les nouveaux logements construits sur l’ensemble de la période. L’immobilier d’entreprise est bien sûr présent et vital pour les 100 milliards d’euros de PIB créés. Certains regrettent qu’environ 11 millions de mètres carrés de bureaux, activités et logistique, viennent « déséquilibrer » le projet. C’est probablement vrai, mais la vocation initiale du Grand Paris, est d’être, avant tout, un projet économique qui fertilisera l’ensemble des besoins de la région et soutiendra les politiques publiques.

C’est un point d’équilibre qu’il reste à inventer avecunegouvernancemieuxorganisée, aidée par une vision de l’aménagement plus prospective. Les professionnels devront, aux côtés des aménageurs, encourager des filières économiques que l’on ne connaît pas encore. Un mouvement classique de balancier alternera destruction d’emplois peu qualifiés par l’effet des nouvelles technologies, et création, à un rythme soutenu, d’emplois très qualifiés. On se demande également si la question de la réversibilité des infrastructures, incluant pour certains, le boulevard périphérique et, surtout, le futur bâti, ne devrait pas être plus présent dans les cahiers des charges. Après tout, lorsque le contour des fonctions futures est incertain, autant se laisser la possibilité de les faireévoluer.

Alors oui, les professionnels vont s’organiser, se consolider, des initiatives de places de marché vont naître. Des rapprochements d’acteurs sont inévitables, ne serait-ce que pour accueillir et internaliser des compétences qui font défaut. La pluridisciplinarité va s’approfondir chez les promoteurs. Les investisseurs vont probablement prendre l’avantage, car ils financent la chaîne de valeur. Même si aujourd’hui rien ne l’indique, il faudra bien que le lien de compétences s’établisse structurellement. Les foncières sont mieux positionnées, de ce point de vue, car elles intègrent toutes ces forces dans leur modèle économique.

Les chiffres annoncés par la chambre de commerce, la Société du Grand Paris, la Fédération du bâtiment et celle des Travaux publics sont de nature à créer l’enthousiasme. Et il en faut pour conforter le projet auprès des agences de notation, car il s’agit de financer 28 milliards d’euros d’investissements. Mais ce ne sont pas ces chiffres qu’il faut retenir, pas plus que la façon dont aujourd’hui tout cela est organisé.

Que retiendra-ton dans vingt ans ? La gouvernance ? le pôle multimodal de Saint-Denis-Pleyel de l’architecte Kengo Kuma ? La pertinence de la charte architecturale déployée par Jacques Ferrier ? Que ce sont des professionnels qui auront fait grandir toutes ces initiatives ? Le chemin de la connaissance, de la pluridisciplinarité et de la taille critique est tout tracé, il faut ainsi voir grand et oublier tout ce que l’on sait.

Laurent Lehmann