LISIBILITE

Laurent Lehmann sur l’aménagement


Pour une entreprise ou un investisseur immobilier, il est souvent difficile de comprendre qui fait quoi chez les professionnels de l’aménagement d’espace de travail. Comment nommer ces métiers et comment les définir ?

Article original publié par la revue Office et Culture n°43 - Mars 2017

visuel lisibilité 43.jpg

L’annuaire Facilities 2017 recense 138 entreprises dans la catégorie Aménagement et mobilier. En majorité, ce sont des structures de petite taille et seules quelques entreprises ont atteint une taille significative et se sont développées à l’international. Leur dénomination sociale n’est guère éclairante quant à la gamme de prestations qu’elles proposent. La nomenclature du métier a plus recours à l’anglais qu’au français (build-up, design&build, workplace strategy, desk sharing, etc.) et, malheureusement, Google ne vous sera pas d’une grande aide, le vocabulaire et les champs lexicaux étant trop imprécis pour que les requêtes proposent autre chose que des résultats hasardeux. En réalité, les métiers, les savoir-faire et le vocabulaire de la profession sont puisés dans de nombreuses filières, ce qui rend l’ensemble difficile à déchiffrer pour un non-initié. Les filiations sectorielles sont multiples ; en résumé, on y trouve : le conseil immobilier, le conseil stratégique, le management et l’organisation, l’urbanisme, le bâtiment, l’architecture, le space planning, le mobilier, l’agencement et, enfin, moins attendue, la communication. Ces origines se superposent et cohabitent et ne se sont pas réunies sous une bannière unique qui pourrait rationaliser et unifier le vocabulaire. Certes, il existe des organismes de place qui font autorité et qui sont de vraies agoras de la profession, UNIFA, ACTINEO, CFA, CFAI… Mais on observe, là encore, la prégnance de leur origine : le meuble, le bâtiment, l’architecture… Il est difficile dans ces conditions d’unifier une profession. Le seul élément commun fort du métier de l’aménagement semble être la nécessité de respecter délais et prix et de proposer des prestations de conseil à géométrie variable.

Le cabinet Génie des lieux publie, chaque année, un Guide des bonnes pratiques, outil pédagogique pour mesurer les enjeux de l’espace de travail. Cette lecture instructive permet de se faire une idée du glissement sémantique auquel nous assistons. Dans les dernières éditions, la notion d’aménagement ou de mobilier est quasiment absente ; on parle de performance, de flexibilité, de bien-être… On s’adresse, aussi, à une cible nouvelle, qui n’est plus le donneur d’ordre, mais, l’utilisateur final, le collaborateur. Progressivement, l’industrie a migré vers des concepts que ne renieraient pas les consultants en stratégie et en communication. Il n’y a pas si longtemps on se battait sur le terrain du quantitatif et on parlait coût et délais, en argumentant sur le potentiel d’économies que permettaient l’accompagnement par un aménageur ou un architecte d’intérieur. La dimension humaine, plus qualitative, était peu abordée. L’espace de travail était souvent une variable d’ajustement économique. Il en résultait une certaine indigence du discours et une création de valeur relativement faible sur l’ensemble de la filière, la prestation se résumant à des calculs de mètres carrés et des cahiers des charges de mobilier. Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, cela fonctionnait parce que telle était l’attente des clients. Dans l’immobilier de bureaux, ce n’est qu’il y a quelques années que l’on a découvert que l’on pouvait faire mieux. La recherche de maîtrise des coûts a perduré, mais le modèle s’est affiné, la qualité des espaces partagés est venue compenser la diminution de la surface nette par personne.

Tout en haut de cette hiérarchie des compétences, en amont du cycle de valeur, on a changé d’interlocuteur, on se tourne désormais vers la direction générale qui est désormais la cible. C’est à ce niveau qu’interviennent les consultants formés non pas à l’aménagement, à l’agencement ou à l’ergonomie, mais plutôt à la productivité individuelle et de groupe, la sociologie du travail, la science des organisations et les facteurs de changement. Concernés également par l’émergence des tiers lieux et des nouveaux modes de travail, de nouveaux acteurs sont apparus Wavestone, Deloitte, LBMG… Le langage est celui du conseil, il n’est plus question d’aménagement ou d’espace, mais d’organisation performante.

Par comparaison, dans l’immobilier commercial, les professionnels de l’agencement et du design travaillent sous d’autres contraintes. Ils doivent suivre le rythme d’évolution des modèles. Il faut s’adapter sans répit et rapidement, les aménagements devenant obsolètes, à peine réalisés. La multiplication des points de vente, où le client semble ne jamais étancher sa soif de consommation, et la rotation des enseignes et des concepts amènent à se questionner sur l’intérêt d’investir dans des mètres carrés et des aménagements. On cherche dorénavant du côté de l’éphémère ou de l’événementiel pour tester de nouveaux types d’espaces, par ailleurs moins chers à mettre en place. Le vocabulaire, lui, oscille entre le design, la mode, les métiers créatifs et le pur marketing, avec un zeste de digital.

Une autre source de confusion provient des modes opératoires. Les garanties, les responsabilités juridiques et le modèle économique des différents acteurs ne sont pas toujours parfaitement transparents. Juridiquement, le maître d’ouvrage engage un maître d’œuvre, lequel conçoit et réalise, ou pas, le projet. Le maître d’œuvre doit avoir des garanties et peut, ou pas, être issu d’une profession réglementée comme celle des architectes par exemple. La conception et la réalisation peuvent également être délégués. Toutes ces étapes du projet sont nommées de façon différente par les acteurs. Conception et réalisation sont les expressions les plus en phase avec le cadre juridique français, mais l’apparition du Design & Build, a introduit un nouveau cadre de référence qui rend les choses compliquées à comprendre.

Pour nous résumer et faciliter la lecture de ces métiers, on peut cheminer dans sa recherche au moyen d’un questionnement, pour définir les compétences attendues, et les principales attentes. Mais ce n’est pas suffisant, la profession gagnerait à simplifier sa grammaire et à proposer un nouveau lexique qui unifierait les pratiques. À bien y regarder, un nouveau métier est né, mais on a oublié de le nommer, à l’heure de la toute-puissance de Google c’est une erreur de communication. La place doit se saisir de cette question.

Laurent Lehmann