IMMOBILIER TERTIAIRE

Marché sous le choc


L’état de l’offre et de la demande sur le marché des bureaux préoccupe rarement la grande presse, comme peut le faire le marché des logements ou des commerces. Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, le sujet s’est imposé dans la plupart des rédactions, tant le choc a été rude et a surpris l’ensemble des acteurs du marché et du monde de l’entreprise. État des lieux 2020 et prévisions 2021.

Article original publié par la revue Office et Culture n°59 - Mars 2021

(illustration : Getty images)

(illustration : Getty images)

Pour comprendre ce qui se passe sur le marché de l’immobilier d’entreprise depuis le début de la pandémie, il faut bien garder à l’esprit que l’offre de bureaux dépend de l’évolution de la demande des entreprises qui, elles-mêmes, évaluent leurs besoins en fonction des prévisions d’activité de leur secteur. In fine, c’est donc l’évolution prévisionnelle quantitative de l’emploi qui entraîne la construction et la rénovation de bureaux et les mouvements des entreprises.

Sachant que le cycle de fabrication des immeubles est de l’ordre de trente-quatre mois et qu’il s’écoule en moyenne six mois entre le moment où une entreprise prend la décision de déménager et son installation dans des locaux neufs, on comprend le rôle essentiel que joue, dans la chaîne de création, le maillon des producteurs d’offres (aménageurs, promoteurs et investisseurs) qui assurent l’équilibre entre offre et demande. Mais il existe aussi un facteur de variabilité qualitatif : les emplois tertiaires ne sont pas identiques dans tous les territoires. On observe ainsi une concentration dans les plus grandes villes des activités métropolitaines supérieures (AMS, qui se caractérisent par une forte intensité en connaissance et en un haut niveau technologique). La création d’emploi a donc tendance à se polariser dans un certain nombre de bassins favorables tels que la région parisienne et les métropoles régionales.

Enfin, la façon dont les entreprises utilisent leurs bureaux aura également des conséquences sur le volume de la demande présente et future, mais aussi sur sa qualité. Les tendances en matière d’occupation et de modes de travail sont : la réduction de la surface par collaborateurs et la mutualisation des fonctions collectives (réunion, créativité, projets, etc.) ; la répartition des salariés dans les locaux, non pas en leur affectant un poste fixe, mais selon leur activité du moment ; la prise en compte du taux d’occupation réel des postes de travail compte tenu du temps que les collaborateurs passent en dehors de l’entreprise (rendez-vous extérieurs, déplacements, télétravail, travail à domicile, congés, récupérations, maladies, etc.) pour réduire le nombre de postes et, par là même, les surfaces de bureau.

Cette évolution de la demande se répercutera, à court terme, sur la production neuve comme sur la rénovation, et, à plus long terme, sur la taille et la valeur du parc existant. Dans la période actuelle, les entreprises vont surtout progressivement chercher à se défaire des mètres carrés qu’elles jugent inutiles, renoncer à des extensions programmées et/ou renégocier les conditions de leurs engagements locatifs. La raison principale est à chercher, bien sûr, dans la baisse d’activité et la recherche de réduction des coûts. Selon l’Association nationale des directeurs de services généraux (ARSEG) qui publie un indicateur de référence (agrégeant les coûts d’immobilier, d’exploitation technique, de services et moyens, et de personnel de la direction de l’environnement de travail), il en coûte actuellement 13 566 € (soit 764 €/m²) par an pour asseoir un salarié dans un bureau en France. La réduction du nombre de postes représente donc un enjeu financier d’importance pour toute entreprise.

En Île-de-France, sur l’ensemble de l’année, le nombre de mètres carrés loués ou achetés par les entreprises s’est établi à 1,3 millions m² (le plus faible score des vingt dernières années) avec un nombre de transactions en baisse de 45 % par rapport à 2019. BNPRE (filiale immobilière du groupe BNP) indique que dans les six premières métropoles régionales, la baisse a été du même ordre (42 %).

En Île-de-France, dont le parc de bureaux atteint 54,5 millions m², on observe une situation contrastée entre l’est et l’ouest. Le quartier central des affaires, localisé autour de l’Étoile et qui pèse à lui seul 7,5 millions m², ne subit pas le choc de la crise. À La Défense (4 millions m²) le taux de vacance a déjà augmenté, alors que l’on attend à court terme une augmentation de plus de 10 % du parc (essentiellement des tours de dernière génération avec fenêtres ouvrantes et terrasses en étages). Enfin, pour la seconde couronne, une réelle inquiétude commence à poindre.

Une des principales conséquences sera certainement une baisse des valeurs locatives sur la plupart des marchés, avec des dégradations plus marquées dans les zones qui n’ont pas la taille critique ou qui sont mal desservies par les transports. Les perspectives pour 2021 sont plus encourageantes, mais il est peu probable que la barre de 2,2 millions m² de transactions (moyenne des dix dernières années) soit atteinte.

Pour l’Institut de l’épargne immobilière & foncière (IEIF), la filière sera aussi en décroissance du fait de la montée en puissance du télétravail, phénomène qui est appelé à durer. Si l’on fait l’hypothèse que la moyenne de jours de télétravail par semaine passe à deux, le parc immobilier se contracterait à moyen terme de 2 à 8 %. La baisse des flux (nombre de mouvements d’entreprise) serait, quant à elle, sensible immédiatement et pourrait atteindre 14 % (dans le pire scénario). Il est à craindre que ces baisses de volumes pèsent sur les prix, ce qui n’est pas une mauvaise nouvelle pour les entreprises, mais ne devrait pas réjouir les acteurs locaux et les professionnels.

En 2020, les investisseurs ont aussi été aussi moins actifs en France : ils ont placé 18 milliards € dans les bureaux, soit 35 % de moins que l’année précédente. Pour 2021, on s’attend à une remontée du volume d’investissement et une grande sélectivité des acteurs qui se tiendront probablement à l’écart : des immeubles mal situés ; des biens dont le profil des locataires est fragile ; mais surtout des programmes qui ne sont ni loués ni préloués. La hiérarchie des valeurs locatives et des rendements va donc se rééchelonner fortement tout au long des mois à venir.

Les territoires devront surveiller de près la mise en œuvre et la qualité de leurs opérations de bureaux. Celles-ci sont généralement simples à concevoir et à programmer (et appréciés parce que leurs occupants ne votent généralement pas sur place !) et génèrent de la richesse mais supposent aussi des investissements en infrastructures qui peuvent ne pas être négligeables.

 Ainsi, cette crise nous aura permis de redécouvrir le poids de l’industrie immobilière dans notre économie nationale. Selon le Panorama de l’immobilier et de la ville, publié par EY en décembre 2020, l’ensemble de la filière représente 11 % du PIB français, emploie 2 225 000 salariés et a créé 138 000 emplois sur les quatre dernières années. Le secteur, qui croît de 3 % en période normale, a connu une contraction d’activité de 8 % en 2020.

Pour renverser la tendance, le secteur des bureaux devra rapidement faire preuve d’inventivité et de volontarisme pour saisir l’opportunité de se réinventer, en ouvrant sans tarder les deux chantiers essentiels de l’immobilier de demain que sont l’économie circulaire et la réversibilité.

Laurent Lehmann