L'INNOVATION TIENT SALON

Laurent Lehmann à Viva Technology


Fin juin, un salon professionnel d’un genre nouveau, s’est installé à la porte de Versailles, à Paris. Proposé et élaboré par Publicis et Les Échos, cet événement au format original et ambitieux, réunissait grands groupes et startups autour de l’innovation. Trois jours durant, ce fut unbrassage unique d’expériences, de rencontres, de pitchs et de conférences. Réflexions, interrogations et étonnements de Laurent Lehmann.

Article original publié par la revue Office et Culture n°41 - Septembre 2016

Maurice Lévy, PDG du Groupe Publicis et François Morel, PDG du Groupe Les Échos.

Maurice Lévy, PDG du Groupe Publicis et François Morel, PDG du Groupe Les Échos.

Que peut bien apporter une expérience de cette nature dans le quotidien de nos activités ? Ne s’agit-il pas d’un moment superficiel qui navigue sur la vague de l’innovation ? Un moment promotionnel exceptionnel pour Les Échos et Publicis ? Un nouveau salon qui se revendra très vite ? Sans doute un peu de tout cela, mais surtout un lieu privilégié pour prendre le pouls de ce corps économique ivre de nouvelles technologies et pour comprendre les mécanismes qui donnent ou donneront la forme et, nous l’espérons, du sens à nos métiers, aujourd’hui et demain.

De quoi s’agit-il ?

La ligne éditoriale était riche ; les grandes sociétés leaders accueillaient sur leurs espaces des essaims de startups regroupés en labs thématiques : expérience client, énergies et environnement, finances et services, gouvernements, santé, hospitalité et tourisme, assurance,  luxe, média, transport, commerce, sport et jeux, télécoms, mobilités, transformation urbaine. Un espace de démonstration (Discovery Square) pour les innovations visibles complétait le dispositif.

Les grands et les petits

Chaque lab était très animé car les startups disposaient d’un tout petit kiosque où leur identité et leur pitch (trois lignes, quelques phrases assez sibyllines et un site Internet) étaient présentés a minima, ce qui incitait chacun à activement manifester sa curiosité et très vite interagir, personne n’étant assis. C’est aussi le grand retour de ce que parfois on a appelé avec un peu d’ironie « les tueurs de ventes ». Soyons beaux joueurs, leur énergie, leur grande jeunesse et leur talent à vous questionner et à vous restituer de l’information est réel et a fait mouche, nous sommes plusieurs à être repartis avec des cartes et des idées nouvelles.

Immobilier

L’immobilier n’était pas absent. Unibail et Klépierre avaient fait le déplacement avec des dispositifs différents : Unibail invitait des jeunes pousses à ses côtés pour renouveler « l’expérience shopping » ; Klépierre montrait sa plateforme d’innovation klepierre ID et une application de tracking de fréquentation de ses galeries commerciales. Modeste présence au regard des moyens déployés dans d’autres secteurs économiques. Mais ne boudons pas notre plaisir, l’immobilier était présent.

Prise de parole, évangélisation

Lors des conférences rien n’était laissé au hasard. Des grands du conseil, McKinsey, EY et Roland Berger étaient présents pour accompagner et animer. Vous pouviez (à condition d’être ubiquiste) en savoir plus sur une sélection de questions (forcément posées en anglais), entre  autres:

-  Which BtoB services will be disrupted next ?
-  Will artificial intelligence be your next assistant ?
-  How to turn your company into a data company.
-  Personalised and data-driven marketing.
-  The future of construction.
-  Recruiting in the internet age.
-  How blockchain technology offers new tools to governments.

Apprendre et devenir son propre innovateur

Rétrospectivement, ce fut une session de sensibilisation à l’innovation dans nos métiers et la possibilité d’apprendre vite par association d’idées. De longue date, le tertiaire a copié les méthodes opérationnelles industrielles, notamment dans la conduite de projet et le consulting : Six Sigma, Lean, autant de progrès rendus possibles par curiosité et connaissances croisées. Mais admettons, qu’aujourd’hui, tout cela s’accélère. Nous sommes projetés cette fois non pas à la vitesse où nous lisons, mais à la vitesse où nous voyons. Demain nous ajouterons la perception, la sensation.

Beaucoup de stands proposaient des expériences virtuelles qui vous emmenaient dans des situations immersives à donner le vertige. Une fois passé le temps du spectaculaire et du ludique, les entreprises, notamment dans l’industrie immobilière, utiliseront ces possibilités. Il est vrai qu’il est difficile de partager quoi que ce soit avec son entourage lorsque vous vous retrouvez affublé d’un masque sur le visage. Vous gagnez en acuité et en vision, mais vous vous coupez d’une autre forme d’intelligence, celle de votre regard naturel, votre sens de l’observation.

La mesure de tout

Le smart data, et non plus le big data, s’est invité autour des capteurs et de leurs possibilités nombreuses. Pour le retail d’abord qui, on l’a vu, mesure le mouvement de chacun devant une boutique, une allée principale, un mall. Ces capteurs permettront de corriger des situations, de les influencer, mais ne permettront pas de programmer avec efficacité un flux de consommateurs ; et faire rêver restera l’apanage du talent et des marques.

État d’esprit

L’open innovation, mot valise, a été très utilisé lors de ces journées. De quoi s’agit-il ? Pour chaque entreprise bien établie, de taille suffisante et qui veut peser dans son secteur, celle-ci laissera à des acteurs extérieurs la possibilité d’agir au sein de son écosystème et de lui proposer d’autres façons de faire. C’est encourager les remises en cause et, à court terme, permettre d’accélérer la transformation.

People

Des personnalités politiques et, bien entendu, les dirigeants des plus grands groupes français et étrangers étaient présents. Bernard Arnault marquait un intérêt pour Selectionnist, une application qui permet de créer un lien marchand entre la presse magazine et les marques. Et aussi, le CEO de KAEC (King Abdullah Economic City), la ville nouvelle saoudienne en construction sur les bords de la Mer rouge, grand projet privé, parti de rien, ou presque, dans les sables du  désert.

Le secteur bancaire a des frissons

Lors de ces journées, BNPParibas a signé une convention de financement pour 800 projets innovants. Une initiative qui souligne l’intérêt des banques pour les possibilités ouvertes par les robots et autres blockchains en matière de gains de productivité, et aussi leur inquiétude devant les innovations proposées par les opérateurs pour capter une part du marché des paiements de proximité. Autant de défis dans un moment clé où les robots et autre chatbots (agents conversationnels), sont déjà capables d’effectuer les opérations les plus simples telles que le contrôle des factures.

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Résidence

Comme durant la Renaissance où les artistes étaient en résidence, les startups ont leurs lieux et sont hébergées dans des accélérateurs, comme celui de Polytechnique qui avait fait le déplacement.

Financement

L’infrastructure de l’innovation ne repose pas uniquement sur la découverte, le financement est essentiel pour le succès. Les financiers étaient donc là et bien là (300 investisseurs étaient présents, selon le service de presse du salon).  Au début, chacun cherche de l’argent, pour conforter son démarrage, mais les banques estiment le risque trop élevé et ne suivent pas. Ce sont des acteurs spécialisés ou des entrepreneurs qui ont déjà connu la réussite, qui vont financer. Il arrive que des entreprises se rapprochent des innovateurs et investissent. Dès le début de votre aventure d’entrepreneur, il y a vos fonds propres, puis les aides éventuelles en proportion de ces mêmes fonds propres, puis plus tard, les véritables investisseurs, les venture capitalists (VCs) qui attendent les preuves de maturité de votre concept.

Fragmentation

Pierre-Dimitri Gore-Coty, directeur EMEA d’Uber rappelait une évidence lors de son interview. L’Europe et particulièrement la France ne sont pas en retard sur l’innovation, la qualité de la recherche y est au plus haut, mais la fragmentation de nos marchés et de nos réglementations européennes demeurent un poison pour se développer rapidement. Si, par exemple, vous réussissez bien en France, le lendemain lorsque vous mettrez le pied en Allemagne vous repartez à zéro.

Relation client

Webhelp, en quinze ans, est parvenue à se faire une place très enviable dans la gestion de la relation client. Désormais épaulée par le très puissant fonds KKR, la société envisage de nouveaux développements. Alexandre Fretti, le directeur général France, rappelait que les robots et l’intelligence artificielle permettent de faire mieux les tâches simples, mais ne peuvent remplacer l’homme pour les opérations complexes nécessitant de la sensibilité, comme l’achat d’un téléphone mobile.

French Tech

La France a de quoi être fière de sa recherche qui n’est pas en retard, et de son potentiel innovation unanimement reconnu. De même, le dispositif d’amorçage sous toutes ses formes est très présent : In France we trust, La French Tech, la BPI… Notre pays est en tête pour le nombre d’investissements d’amorçage en Europe. Demeure un sujet d’inquiétude qu’Emmanuel Macron a appelé, lors de sa prise de parole du samedi, le scale-up, c’est-à-dire l’aptitude des startups à passer à l’étape suivante, s’exporter et exister au niveau international.

Laurent Lehmann