MARKETING ET INNOVATION DANS LA MISE EN LOCATION DE L'IMMOBILIER D'ENTREPRISE

Réflexions immobilières


Comment réussir la commercialisation locative d’un immeuble de bureaux ? Présentation de l’immeuble, ciblage de la clientèle, élaboration du message, rencontres, visites, etc., l’auteur passe en revue les usages en faisant part de son retour d’expérience : les bonnes pratiques, les erreurs souvent commises, les innovations qui arrivent… et celles qui se font attendre.

Article original publié par la revue de l’IEIF Réflexions Immobilières n°76 - 2ème trimestre 2016

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Le marketing en immobilier d’entreprise est peu théorisé, organisé et financé, particulièrement durant la phase de commercialisation locative.

C’est pourtant une action majeure pour créer de la valeur. Il facilite la recherche des locataires, permet d’augmenter la qualité du revenu, contribue à la liquidité du patrimoine. C’est aussi ce qui permet de confirmer la justesse du business plan de toute opération. L’innovation existe dans ce domaine, mais les évolutions sont lentes. Nous essayerons d’en comprendre les raisons et proposerons des solutions.

L’immobilier d’entreprise désigne tout à la fois les commerces, les entrepôts, les immeubles sous gestion, les bureaux, les locaux d’activité. Dans cet article, nous exclurons le résidentiel. Nous n’aborderons pas non plus la vente aux entreprises et aux investisseurs. S’il s’agit d’opérations motivées par des raisons financières ou patrimoniales dont les leviers et les acteurs ne sont pas comparables. Les sujets hors France ne seront pas abordés non plus pour permettre aux lecteurs de se situer dans un contexte opérationnel.

les invariants

1. Le Cycle

À quel moment de la vie de l’immeuble intervient-on ? Est-on en amont, avant le permis de construire, ou en aval, après obtention des autorisations et les travaux démarrés, ou encore après l’achèvement du chantier ou simplement avec une opération existante et en l’état ? C’est le point de départ permettant de situer l’intensité de l’effort commercial qu’un bailleur peut consentir. L’histoire est soit à écrire en totalité, soit à effacer pour repartir du bon pied.

C’est un moment prometteur pour innover, car on observe souvent une anticipation trop marquée de la commercialisation, le souhait, normal, de sortir de son risque le plus tôt possible. Mais les conditions ne sont pas forcément réunies pour valoriser l’immeuble, les moyens alloués à sa promotion ne sont parfois pas encore connus sans permis de construire. Le réalisme de l’opération ou sa capacité à tenir les délais sont encore en question. Comment pourtant quantifier le risque, comment enrichir la stratégie pour démarrer la commercialisation au bon moment ? Il existe des solutions présentées ci-après.

2.  La localisation

C’est peu dire que les professionnels attachent de l’importance à l’emplacement d’un actif. C’est le foisonnement des possibilités, de son potentiel, qui en dépendent dans tous les registres : de la valeur, en passant par la durée de la commercialisation, la qualité de la cible. Récemment, SFL s’est intéressée de façon approfondie aux conséquences de la localisation allant jusqu’à modéliser des avantages économiques quantifiés pour les entreprises notamment sur le registre de l’attraction des salariés à haut potentiel.

3. Le profil du propriétaire ou de son mandataire

La très forte poussée des volumes de capitaux investis depuis quinze ans a multiplié le nombre des acteurs et de leurs représentants. Les investisseurs représentent ainsi un large spectre allant de fonds privés jusqu’aux fonds souverains, sans oublier les fonds d’investissement, plus concentrés que jamais et atteignant des volumes sous gestion jamais égalés. À titre d’exemple, Blackstone maîtrise 335 milliards d’euros.

Ce mouvement est conjoncturel et structurel : il agit sous la double poussée de l’évolution démographique et du fait urbain, d’une part, mais aussi du fait des politiques d’allocations d’actifs qui privilégient fortement les rendements généreux de l’immobilier. De ce profil dépendra l’approche du sujet ou, plutôt, la texture du discours commercial. C’est un environnement personnalisé dont il faut tenir compte, ainsi que de l’anticipation des attentes des interlocuteurs.

4.  In situ

L’immeuble n’est pas un objet hors-sol, virtuel. Il est donc nécessaire d’aller sur le site pour observer et analyser l’environnement. Mieux, à pied, comprendre le cheminement vers les transports,  repérer le voisinage et l’environnement immédiat. Une reconnaissance sur le terrain permet de « respirer » l’atmosphère du lieu, de vérifier l’ensoleillement, autant d’éléments qui constitueront le ferment du plan marketing.

Ces facteurs constituent le préalable à tout exercice de commercialisation locative. De plus, lorsque la visite de l’immeuble est possible, celle-ci en révèlera les accidents et les atouts. L’immobilier a cela de rassurant : c’est un objet visible, contextualisé, dont l’observation favorisera la compréhension. Un esprit ouvert et curieux, attentif aux détails, permet de faire du marketing immobilier davantage qu’un cash-flow.

5.  Le marché, les données

C’est le répertoire du jeu le mieux couvert par les agents, et il est tout simplement indispensable. L’analyse des études sera éclairante pourcomprendre la nature de la demande, en volume, par secteur d’activité, par taille d’entreprise. Prendre le temps de mesurer l’offre concurrente favorisera et profilera une proposition en valeur, en surface, en nombre, à compléter d’une analyse détaillée des comparables qui permettra d’évaluer ses chances face aux compétiteurs.

Les transactions, enfin, sont riches d’enseignements : même si un rétroviseur n’annonce jamais rien, il permet, comme pour l’histoire, d’instruire le présent. Inutile de commenter cet aspect qui est, pour chacun des professionnels confrontés à la commercialisation, le préalable à toute opération. Les conseils en immobilier maîtrisent à la perfection cet exercice, dont le marketing doit se saisir pour comprendre les enjeux de la cible et bien peser ses leviers.

À ce stade, l’innovation n’est pas vraiment présente. On peut s’attendre toutefois, dans les mois à venir, à une plus grande profondeur dans l’analyse des mouvements, en particulier en s’appuyant sur les anticipations, les mécanismes prédictifs. Ils peuvent être conçus à partir de données hors immobilier et non structurées qui sont disponibles à la vente, comme celles d’Orange, ou libres d’accès comme celles de la région Île-de-France.

D’ores et déjà, il existe des services comme ceux proposés par la société Explore1 qui permettent, à partir des signaux faibles relevés dans les médias, d’anticiper des attentes et, ainsi, de constituer des segments de cibles qui n’expriment pas encore un besoin sur le marché. Cet exercice nécessite toutefois une étude fine de l’information. C’est toute la limite de ce type de données, qui ne renseigne pas et rend nécessaire le recrutement d’analystes ou de spécialistes de la data.

Rendre compte, évaluer les actions

1.  Le pitch

Un exposé précédera toute opération de marketing, décrivant l’offre commerciale, la vision du commercialisateur. Passons sur les difficultés de la préparation et concentrons-nous sur l’usage et le profit qui en est fait. C’est un élément de sélection, un puissant moyen de s’approprier en peu de temps l’opération, une démonstration également de sa volonté et de ses compétences. C’est déjà beaucoup !

Pourtant, une innovation serait bienvenue. Les recommandations, la feuille de route s’évaporent vite, les interlocuteurs changent et, inévitablement, on perd le fil. Les grands groupes de conseils ont la capacité de développer des applications qui ont vocation à conserver la trace de leur effort, un tableau de bord vivant, récapitulant la valeur d’actions marketing en les chiffrant autant que possible.

2.  Les conseils pour anticiper

La cible n’est pas unique et homogène – on parle de segments –, et l’approche personnelle relève d’une stratégie différenciée, composante réelle du marketing. Le passage obligé nécessite de s’intéresser à la société convoitée et de privilégier une démarche commerciale individuelle dans laquelle l’immobilier n’est pas le sujet à aborder en première approche. Chacun a fait l’expérience d’une offre immobilière qui arrive à un moment où la réflexion n’est pas mûre.

La phase de conseil devient ainsi un préalable, d’où l’intérêt d’avoir des équipes au sein des sociétés de conseils qui divisent le travail, pour mieux accompagner des temporalités différentes mais aussi des besoins qui ne sont pas ceux qui viennent à l’esprit au début de la commercialisation. Ainsi la rencontre de ce besoin et de l’offre immobilière se fera au moment opportun, suscitant parfois l’impatience des propriétaires, qui souhaiteraient que les visites d’immeubles soient plus fréquentes.

3. KPI*

L’unique KPI utilisé par les bailleurs est un rapport de commercialisation. Pour être plus précis, ce sont les visites de l’immeuble ou les rencontres avec le propriétaire qui seront jugées comme un élément de performance. Cela aboutit parfois à la tyrannie de la visite qui, comme on le rappelle un peu plus haut, n’a pas beaucoup de sens si l’on prend en compte la vie des sociétés. A fortiori, ce sujet du déplacement sur site devient plus prégnant lorsque l’on doit convaincre une grande entreprise, car elles sont moins nombreuses, avec une grande concentration des interlocuteurs, la plupart du temps des directeurs immobiliers.

À ce stade, on utilisera d’autres facteurs et différents leviers pour justifier la confiance du propriétaire envers son conseil. À mesure que le digital produit des scores mesurables (ROI*, coûts de campagnes à l’euro près, etc.), il devient possible d’identifier tout le parcours client. Les techniques utilisées par le marketing digital feront, d’ici peu, tache d’huile et deviendront de nouveaux indicateurs qui permettront d’enrichir les missions.

* Key Performance Indicator : indicateur clé de performance.
* Return on Investment : retour sur investissement.

Culture client

Une prise à bail est rarement une décision prise par une seule personne sur un nombre de critères ou de facteurs limités. C’est une succession d’événements dont le séquencement n’est jamais identique, ce qui rend ces métiers de « chasse » passionnants. La multiplication des points de contact au sein de l’entreprise favorisera l’action dans bien des cas. Il est donc nécessaire de disposer de collaborateurs ayant des savoir-faire complémentaires, avec une prime pour ceux qui connaissent le monde de l’entreprise et qui pondèrent l’importance de l’immeuble. Et aussi pour ceux qui savent qu’une décision doit s’incarner à partir d’une hypothèse, une adresse par exemple.

Les sociétés lisent leur projet avec un regard différent de celui des bailleurs. C’est la recherche d’un lieu de services pour les collaborateurs,  d’une intensité de vie culturelle aux alentours, de la proximité des concurrents et de l’écosystème de l’établissement, de la qualité du haut débit, du temps réel des transports, etc. Ces facteurs n’apparaissent pas encore dans la plupart des sélections proposées aux entreprises. Des opérateurs de données rendront possible d’ici peu ce type d’analyse et enrichiront l’offre immobilière. Des éléments plus intangibles seront ainsi mieux identifiés, ils entreront dans les classements et hiérarchiseront les opérations.

De l’immeuble à la personne, un parcours contradictoire. La description de l’objet, qui est à la fois un produit d’architecture et d’ingénierie mais aussi un contenant avec ses fonctions, demeure toutefois un ensemble informationnel ne permettant pas toujours de convaincre les interlocuteurs avec pertinence. C’est une information montante, asymétrique, qui ne rencontre pas forcément au bon moment les préoccupations du client.

Il manque un lien, un niveau de personnalisation, tenant compte du contexte de l’entreprise et qui devrait pouvoir simuler une solution avec son horizon de temps. Rêve ? Prémonition ? Sans doute, mais il serait possible aujourd’hui d’aller plus loin sur la caractérisation en s’inspirant des réseaux sociaux : créer un profil d’immeuble (pour les plus importants d’entre eux) – sur LinkedIn par exemple –, intégrer ses attributs, donner la parole à une communauté d’entreprises et de relais professionnels, en faisant vivre les anecdotes, les détails. Une autre façon de faire vivre l’immeuble auprès du groupe intéressé.

Des voisins à l’immatériel, le grand écart. Les sociétés localisées à proximité représentent le plus sûr potentiel pour la location d’un immeuble. Cela s’explique par l’extrême difficulté de transférer des salariés sur des sites distants. Le management pèse aussi dans les choix de localisation et s’applique à demeurer sur des sites où ses clients, ses salariés et l’ensemble des cadres dirigeants ont leurs habitudes. Il est intéressant de constater à quel point ce sujet est traité de façon peu rationnelle.

L’utilisation du géocodage, par exemple, qui prend en compte des facteurs de transports, de lieux de localisations des salariés, fait parfois pencher la balance entre plusieurs sites éloignés, mais cela demeure néanmoins marginal. L’innovation viendra des données de toutes natures qui, combinées, permettront de scénariser de façon objective les possibilités d’implantation, le critère immobilier n’étant plus la clé d’entrée unique, voire principale.

Univers de référence, stratégies

1. Premium

En Asie, les propriétaires ont une approche originale de la commercialisation. Ils capturent très en amont la valeur d’un locataire, quelle que soit la surface, pour peu que sa notoriété soit significative. Sa signature vaudra un « premium », c’est-à-dire un avantage économique dont il sera le seul à bénéficier. Le pari est non pas d’afficher un prix unique de loyer ou de le différencier par niveaux, mais d’offrir un discount significatif aux premiers. À partir de là, la commercialisation sera facilitée et permettra d’attirer d’autres entreprises, car la position est consolidée et le potentiel de négociation renforcé pour les prochaines locations. On capture de la valeur en rassurant les futurs entrants. Cette technique est essentiellement utilisée pour des ensembles de grande hauteur ou de grande superficie.

2.  Agence tout risque

Il est difficile de créer les ressources de la promotion commerciale d’un actif sans une agence de communication, pour concevoir une image, une identité, coordonner la réalisation des supports, organiser les événements et, surtout, développer une stratégie digitale. La pérennité d’agences de communication de référence comme 1313, Première, Iceberg, Ultra fluide, notamment, l’explique.

Le marketing immobilier a rarement permis une collaboration avec une agence decommunication généraliste qui appartient à un réseau hors de la sphère immobilière. Celle-ci, par expérience, hésitera sur les univers de références, sur les codes de communication. Elle ira aussi beaucoup (trop) s’investir sur l’identité et pas assez sur le marketing relationnel. En fin de compte, à vouloir jouer sur les contradictions, à rechercher l’effet de surprise, elle crée souvent une tension, alors même que le propriétaire attend d’être rassuré.

Des passerelles existent de plus en plus avec les agences qui travaillent sur d’autres secteurs tels que le retail, le design de marque. Uneattente existe pour une mixité d’expériences ouvrant sur des univers immobiliers connexes, et ceux qui maîtrisent la communication digitale apportent une nouvelle expertise dans le parcours client.

Ceux qui maîtrisent la communication digitale
apportent une nouvelle expertise dans le parcours client.

3.  Tout sauf des bureaux

Dans son action marketing, l’hôtellerie, le commerce et le résidentiel apportent de plus en plus de réponses transposables au secteur tertiaire. Lesquelles et pourquoi ?

Hôtellerie. Si une chambre demeure un produit assez tangible, facile à réserver et contractuellement peu engageant, la location d’un immeuble de bureaux relève d’une logique financière, contractuelle et commerciale opposée. Longue période et engagement sur des budgets importants constituent des facteurs de risque pour l’entreprise. C’est donc du côté des services que l’on s’intéressera à l’hôtellerie.

La segmentation de l’offre hôtelière est forte, les marques ou les réseaux se sont construits autour de familles. Ces univers, cette perception d’une identité seront sans doute une partie importante de l’évolution de la commercialisation des bureaux. Cela permet de sortir l’immeuble de la banalité dans laquelle les commercialisateurs se piègent, en additionnant les mètres carrées ou les seules données techniques. L’architecture, au contraire, demeure un atout et ne doit pas être instrumentalisée.

Commerce. Le retail est contraint par une véritable science du flux, qui crée des polarités fortes à partir d’une offre commerciale en renouvellement permanent et qui nécessite de diriger, d’attirer les visiteurs et enfin de les retenir pour consommer. Ces techniques sont appliquées dans les centres commerciaux par des opérateurs dont l’organisation est verticale. Ils disposent de beaucoup d’informations sur les usages (ce qui marche, ne marche pas), ils bénéficient instantanément de la remontée d’informations depuis le terrain : c’est du big data avant l’heure !

Cette expérience est utilisée dans le marketing de leurs autres opérations. Unibail, par exemple, a appris avec ses centres commerciaux à suivre le parcours des clients, quasiment depuis leur domicile jusqu’à l’intérieur du centre commercial. Cet atoutfacilite la politique locative, très dépendante de la capacité de consommer des visiteurs et de leur nombre. Mais l’analogie s’arrête là, les moyens investis par les foncières avec leurs équipes marketing n’ont aucune comparaison avec ceux du tertiaire, et cela fait toute la différence.

Les enjeux financiers sont tels en commerce que le marketing s’y déploie naturellement. Les équipes, les innovations, la recherche sont autant de ressources pour permettre à l’offre de centre commercial de maintenir son horizon et sa croissance, particulièrement au moment où celui-ci est bousculé par les ventes en ligne. Seuls les immeubles de bureaux de grande capacité gagneront à profiter de ces innovations.

Résidentiel. La commercialisation des biens est différente, car il s’agit la plupart du temps de vente. L’industrie immobilière n’est pas en retard d’une innovation, même si dans la pratique les agents demeurent très conservateurs et n’investissent pas encore assez dans les nouvelles technologies. Les particuliers sont aussi dans une logique plus hédoniste, pratique, financière, aléatoire… très différente de celle des entreprises.

Pour illustrer l’invention permanente de la commercialisation en résidentiel, il existe une excellente ressource française, le blog « Immobilier 2.01 ». C’est passionnant de découvrir les innovations proposées par ses auteurs qui parcourent les salons spécialisés d’Amérique du Nord et commentent les innovations de cette industrie.

L’immobilier d’entreprise n’est pas à l’écart de cette effervescence : les agents, les conseils forment le véritable réseau de cette activité et doivent être les veilleurs de cette créativité pour les contextualiser lors des campagnes locatives.

4. Art et design

Depuis que l’Homme construit, on ne se pose pas la question de ce qui relève des arts plastiques ou de la construction. Nos bâtiments anciens intègrent des éléments décoratifs et artistiques qui sont parties prenantes de la structure ou du bâti. L’industrialisation, le fonctionnalisme se sont débarrassés des ornements, des artefacts, des décorations. Au mieux, on réinstalle des œuvres en les accrochant ou en les posant au sein des immeubles, mais rien ne dit que les immeubles ont intégré l’art comme élément de valeur. C’est pourtant une voie à suivre, et le marketing, qui cherche toujours à différencier pour mieux atteindre sa cible, est intimement lié à cet effort. C’est un élément de valorisation qui parlera aux plus réfractaires, les initiatives récentes du ministère de la Culture remettent au goût du jour cette pratique.

Nouvelles intelligences

1. L’intelligence artificielle, pour une meilleure personnalisation

Il existe beaucoup de techniques de marketing en ligne qui offrent des possibilités pour « pousser » des propositions commerciales, des suggestions à un internaute en fonction de son profil, de ses habitudes de navigation. Ces techniques seront possibles d’ici peu pour les entreprises. Une personne morale ne sera pas reconnue selon son seul profil LinkedIn, mais bel et bien avec toutes les données publiques accessibles qui parlent d’elle.

Si les individus sont facilement identifiables au moyen de leur compte Facebook ou Twitter, il en va différemment avec les entreprises, moins nombreuses mais plus dispersées, tant par la nature de leurs messages que par les profils d’interlocuteurs. L’arbre de décision n’est pas apparent, la tâche donne le vertige. Sans trop anticiper, c’est un axe de développement à privilégier, les grands groupes de conseil ou des spécialistes du traitement de la donnée vont certainement investir dans cette voie.

2.  Être reconnu pour ne pas proposer ce qu’on ne veut pas

Dans un monde idéal, qui prendrait le meilleur de ce que la technologie nous offre aujourd’hui, il faudrait que l’interlocuteur préoccupé d’immobilier au sein d’un groupe puisse, de lui-même ou avec l’aide d’un conseil, pré-renseigner son profil, cette identification étant largement préparée par le recueil d’information automatique. Il pourrait alors se voir proposer un scénario qui prendrait en compte la durée, les aspects juridiques, le budget, etc., et ainsi lui donner un horizon construit et fortement paramétré.

Le commercialisateur pourrait plus facilement argumenter avec le management sur les conséquences d’une opération locative, de déplacement, de rénovation ou d’agrandissement. C’est déjà en partie le cas avec les services corporate des conseils, qui analysent les conséquences d’un transfert et anticipent les étapes. Il s’agit encore d’un travail qui se fait de façon traditionnelle, par recueil de l’information. Celui-ci prend du temps, on ne « process » pas assez. Pour l’instant, des scénarios objectifs permettant de faire naître naturellement la solution immobilière sont seulement ébauchés.

3. Études de comportement

Les livres blancs, études de comportement, enquêtes offrent autant de possibilités de faire connaître aux propriétaires d’immeubles les évolutions qui concernent le monde de l’entreprise. Il existe beaucoup de publications professionnelles qui permettent de suivre ces transformations sociologiques. C’est un axe de travail pour les investisseurs qui consistera, avant de programmer une rénovation ou une construction (les plus grandes foncières le font déjà) de prendre connaissance de ces études et de bien paramétrer le projet.

L’innovation viendra très rarement de celui qui bâtit, car les temporalités pour construire ou rénover sont longues, et l’enjeu dans ce secteur est de s’adapter en étant le moins en retard possible. Les tendances qui orientent désormais plus fortement le marché sont, par exemple, le partage des espaces, la réduction des espaces individuels. Si une innovation est nécessaire, ce serait plutôt du côté de la facilité du processus d’enquête.

À nouveau, on retrouve l’information au cœur des besoins des professionnels. Rendre plus objectives, plus certaines, plus ciblées, les évolutions par secteur, mais également par taille d’entreprise et par localisation serait précieux afin de mieux « profiler » le portefeuille des clients. Le travail commercial en serait enrichi et deviendrait plus intéressant. Ces efforts de recherche et de développement doivent en priorité être pris en charge par les conseils.

L’immeuble

1. Neutre ou personnalisé ?

Souvent, nous entendons les bailleurs souhaiter le moins de personnalisation pour leur bâtiment, non pas sur le terrain de l’architecture extérieure, mais sur celui des aménagements. C’est une erreur que de ne pas choisir d’aller au-devant de sa cible.

Il faudrait faire l’inverse, c’est-à-dire mieux personnaliser son opération pour la différencier de la concurrence et, surtout, préempter son territoire d’excellence. Cette démarche n’est possible qu’à la condition d’avoir mieux anticipé les attentes et les besoins des futurs clients. L’immeuble Majunga, bien que conçu il y a maintenant cinq ans, pressentait cette tendance.

2.  Brut ou aménagé

Comme pour la neutralité, cette question revient régulièrement, et si l’on met de côté les aspects liés au prix de revient, on peut s’étonner que la totalité d’un immeuble de grande dimension soit aménagée du sol au plafond. Ce n’est pas systématique, mais il y aurait beaucoup de raisons qui pousseraient à privilégier des locaux bruts, les dépenses réalisées par un bailleur pourraient être évitées, le bilan carbone amélioré. Les locataires tendent à personnaliser leur environnement particulièrement lors d’un mouvement immobilier d’importance.

Nous recommandons d’équiper l’ensemble des parties communes et des espaces de démonstration en situation. Il existe de plus en plus de moyens pour anticiper ou simuler en direct les ambiances de l’immeuble. Un pas de plus vers la personnalisation…

3.  Break

La restauration collective est fortement réglementée du fait de sa dimension sociale et sanitaire. Il existe en France 50 opérateurs, mais nous en mémorisons trois dans notre environnement professionnel : Sodexo, Elior et Compass. C’est un sujet d’accompagnement, voire d’identité de l’immeuble. C’est un segment qui change, et les formats ne manquent pas entre la distribution automatique, les chèques restaurant et les restaurants sous gestion.

Les besoins des consommateurs évoluent, la pause déjeuner constitue un moment fort de la vie collective, les attentes et les goûts ont très vite changé. Faire des choix de prestataires redevient un sujet majeur dans la programmation commerciale d’un immeuble : c’est du bon marketing, qui renforcera l’attractivité de l’offre. Pour autant, Londres ne compte pas de RIE*, et les salariés anglais ne sont pas morts de faim.

En France, on assiste à l’hybridation de ces lieux qui, au fil de la journée, voient leur usage évoluer, le privé et les enseignes connues entrant de plus en plus à l’intérieur des immeubles. C’est un compartiment du jeu qui va nous surprendre et sur lequel le parc a tout un potentiel pour s’ouvrir vers l’extérieur, comme l’a décidé, dans un domaine connexe, Accorhotels pour ses restaurants d’hôtel.

* Restaurant interentreprises.

Communication vs Marketing

Lorsque la cible est identifiée, que le produit est convenablement informé et décrit, on se préoccupe des outils de mise en valeur. Ce ne sont pas des instruments déterminants mais ils sont indispensables. Dans la plupart des cas, ils font l’objet de trop d’attention, et l’on y consacre beaucoup de temps. Ce sont des questions qui relèvent de la compétence des agences, peu nombreuses et très aguerries aux techniques de communication en immobilier.

Mieux quantifier les dépenses et la combinaison des actions
pour prendre en compte un meilleur ciblage. 
C’est tout l’enjeu du marketing.

Les bailleurs se reposent trop sur ces approches qui, encore une fois, ne sont que des moyens pour accompagner la commercialisation. Ce n’est pas le message et encore moins la valeur ajoutée du projet. Plus gênant encore, ces outils consomment la plupart du budget et ils sont confondus avec le marketing décrit plus haut.

Promotion de l’objet : back to basis. L’exercice qui consiste à louer un immeuble relève de la promotion de l’objet. C’est faire le jeu de la communication cette fois qui consomme des moyens et des ressources sans garantir un résultat. Il faudra apprendre à mieux quantifier les dépenses et la combinaison des actions pour prendre en compte un meilleur ciblage. C’est tout l’enjeu du marketing.

Profits contre coûts. Ce point aurait pu être abordé dès le début tant la question demeure un mystère. Je mets au défi n’importe quel conseilou bailleur de trouver un document permettant de comparer des budgets et de faire le lien entre la dépense et les résultats. J’ai certainement, comme mes anciens confrères, ma part de responsabilité. Nous avons consommé des milliers d’heures de commercialisation sans jamais penser à consolider nos expériences et, du même coup, sans pouvoir nous appuyer sur un corpus étayé justifiant tel ou tel investissement. C’est un peu une malédiction.

  •  Il existe de nombreuses raisons de faire évoluer cette pratique. D’une part, nous nous sommes habitués à tracer les résultats de toutes nos opérations sur le Web, le digital étant un redoutable mouchard qui rapporte tout. Le ROI d’une campagne se calcule vite et automatiquement, il deviendra difficile, dans les mois à venir, de ne pas se justifier. C’est, de plus, un formidable moyen d’entraînement pour trouver le lien qui existe entre l’investissement sur une opération et le résultat.
     
  •  Les KPI sont, cette fois, plus profonds et deviennent intéressants à analyser : la durée de commercialisation a-t-elle été réduite ? De combien de mois ? La valeur perçue se retrouve-t-elle dans une amélioration du loyer négocié ? Existe-t-il des éléments de survaleur que l’on pourrait obtenir (enseigne, nom, hybridation des usages…) ?

Faire mieux. Pour le dire plus simplement, en région parisienne, on loue chaque année environ 2 millions de mètres carrés. En admettant que l’on sélectionne un échantillon portant sur 20 % seulement de ce parc loué, avec un loyer moyen de 280 €, on arriverait à injecter de l’ordre de 1 million d’euros de dépenses de promotion supplémentaires pour un seul mois de commercialisation gagné, soit 2,5 € le mètre carré.

C’est un encouragement à investir ou, en tous cas, à faire mieux.

Le marketing est un investissement, ce n’est pas un coût. Les propriétaires se reposent sur les conseils qui, eux-mêmes, s’appuient sur les agences de communication. Cette chaîne perd de la valeur chaque jour et, comme pour le retail, il faut investir davantage sur la qualité des hommes et sur la taille des équipes dédiées à ces activités.

Et demain ?

Il manque un effort qui n’a pas encore été fait dans notre secteur. Alors que les techniques d’intelligence artificielle s’affinent et viennent en support à l’analyse voire à la formulation, à la façon d’un correcteur orthographique, la technologie pourrait s’avérer utile pour accompagner de futures campagnes marketing.

Il serait temps d’organiser un programme de recherche au sein d’une université, soutenue par la profession immobilière, afin d’y développer une chaire dédiée au marketing immobilier. Il y a beaucoup de savoirs et plus de moyens que l’on ne croit, mais pas assez d’investissement théorique.

Il devient nécessaire de créer les moyens d’une effervescence permettant, notamment, de réduire la vacance sur les marchés les plus difficiles, d’augmenter les loyers perçus, de renforcer les données tactiques et les comparables

Notre industrie y gagnerait en efficacité, en productivité ; l’atout d’un budget dépensé à bon escient serait mieux mesuré, la liquidité serait au rendez-vous. À mesure que les volumes d’investissement augmentent, le marketing immobilier doit, lui aussi, devenir une ambition.

Laurent Lehmann