DUBAI

Volonté politique et efficacité économique


Peu de cités atteignent en si peu d’années la notoriété et le succès commercial de Dubai. La ville est souvent comparée à la cité-état de Singapour avec laquelle le confetti du golfe arabo-persique partage un certain nombre de caractéristiques : développement fort à partir des années 1970, ancienne présence britannique déterminante et situation géostratégique idéale pour attirer les flux marchands.

Nous prendrons du recul avec les images et les certitudes qui abondent, pour comprendre cette dynamique qui s’étend, bien sûr, à l’immobilier.

Article original publié par la revue Office et Culture n°48 - Juin 2018

Panorama dubaïote, 2016Getty image

Panorama dubaïote, 2016
Getty image

Située dans une région au climat hostile et historiquement peu peuplée, Dubai accueille, au début du XIXe siècle, des tribus nomades qui se sédentarisent dans les méandres de l’abri naturel formé par la mer. Rien ou quasi rien ne s’y passe jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle. Les britanniques veillent aux intérêts de la famille royale régnante et permettent au port en eau profonde de se développer à mesure que les anciens nomades se transforment en avisés commerçants. La population est multipliée par 100 entre 1950 et 2010 (elle passe de 19 000 à 1,9 million d’habitants). Le master plan original de Dubai, conçu par l’architecte anglais John Harris dans les années 1960, prévoyait une croissance à partir de la ville ancienne, le long d’un axe majeur nord-sud qui devient une véritable autoroute urbaine. Ce plan oblige aujourd’hui à de grands détours par des échangeurs lents et longs, pour passer à la droite ou à la gauche de la ville. La ville attendra 1978 pour voir sortir des sables, en dehors de ses limites historiques, son premier immeuble de grande hauteur (39 étages), la Sheikh Rashid Tower, plus tard rebaptisée Dubai World Trade Center. Le bâtiment, aussi conçu par John Harris, symbolique d’une ambition et d’une exigence architecturales sera inauguré par la reine d’Angleterre. Il affiche toujours sa belle sévérité, en comparaison de ses voisins tape-à-l’œil qui hésitent entre le style de Las Vegas et celui de Hong Kong.

Le lien entre les 800 âmes qui se sont installées pour faire du commerce maritime et ce premier building, c’est la famille Al Maktoum qui règne sur Dubai depuis 1833 et occupe une place centrale dans les affaires. Les Al Maktoum, comme la plupart des familles régnantes de la région, est originaire de l’oasis de Liwa, au sud d’Abu Dabi. La croissance de la ville est étroitement liée à celle des Emirats arabes unis, état fédéral créé en 1971 sous l’impulsion de la famille régnante d’Abu Dabi. C’est parce que l’émirat d’Abu Dabi avait des hydrocarbures (découverts en 1966), mais pas assez pour faire de l’ombre à l’Arabie Saoudite et aux 6 autres émirats de la fédération qui en possédait beaucoup moins, qu’un équilibre régional a pu se constituer et perdurer. L’émir de Dubai est, aujourd’hui comme hier, premier ministre et vice- président des E.A.U et l‘émir d’Abu Dabi descendant de la lignée des Al Nahyan en est président. Dubai va profiter de ce contexte régional favorable. Une économie diversifiée sera la clé de sa relative indépendance. Après le négoce, la construction des infrastructures, la finance, le tourisme et les loisirs et enfin l’immobilier assureront la croissance.

Pour comprendre l’économie de Dubai, l’activité portuaire et aéroportuaire sera notre fil conducteur. Le projet de Jebel Ali, plus grand port artificiel au monde et plus vaste zone franche régionale, est mis en route dès 1979. L’exploitation des importants champs pétroliers d’Abu Dabi, qui n’a pas de port, stimule les activités portuaires de son voisin. Dans le même temps Dubai consolide sa position de « hub » commercial dans une région à la situation géographique enviable mais à la situation politique instable. Ainsi dès 1980, l’Iran qui fait l’objet de sanctions commerciales de la part de l’Occident, y trouve un appui régional solide pour continuer à faire du négoce.

Les zones franches et les taxations réduites sur la plupart des produits et services sont des moyens classiques pour renforcer son attractivité. Cette année, une TVA au taux de 5 % a été instaurée pour que les E.A.U sortent de la liste noire fiscale de l’Union européenne : la TVA génère quelques revenus pour l’État mais, surtout, son registre permet la traçabilité des transactions.

Les aéroports ont aussi tenu une place centrale dans l’organisation de cette économie portée par une vision long terme. Le principal, Dubai International (DXB) est situé au nord ; les principales destinations desservies sont (en nombre de voyageurs) l’Inde, l’Angleterre et l’Arabie saoudite avec une percée récente de la Russie et de la Chine ce qui donne déjà une idée de la population qui travaille ou séjourne dans l’émirat. Cette plateforme sera doublée, en 2020, par le nouvel aéroport Dubai World Central (DWC), situé au sud, sur le site actuel de l’aéroport (secondaire) Al Maktoum dont la capacité passera (après d’importants travaux) à 120 millions de passagers. Avec ses six pistes il devrait rapidement devenir le premier aéroport de passagers au monde. On précisera, qu’à proximité, centres commerciaux, résidences, bureaux et centre de loisirs sont en cours de construction. Rappelons qu’en 2020, Dubai accueillera une exposition universelle qui devrait être un appel d’air supplémentaire pour une économie déjà très robuste.

Mais le pari le plus audacieux a été le développement du tourisme. Promouvoir une activité qui n’avait rien d’une diversification naturelle relevait de la seule volonté politique et du talent marketing. Dubai est maintenant la 7e destination touristique mondiale avec 20 millions de visiteurs ; belle performance pour un territoire sans arbres, sans eau, musulman et vierge de toute histoire urbaine. Nous n’entrerons pas dans la description des réjouissances commerciales et autres totems festifs, dont les images et les vidéos tournent en boucle sur les médias. Ce facteur majeur de l’attractivité de la très tolérante Dubai mérite (comme le volet financier) un article, tant le genre est cultivé ici à son niveau le plus élevé.

Le marché immobilier quant à lui, demeure pour la plupart des observateurs professionnels, un mystère. Pour qui peut-on autant bâtir ? Quelles sont les entreprises et les résidents qui occupent ces mètres carrés ? Selon le rapport annuel du conseil immobilier JLL la croissance démographique, (trois millions d’habitants en 2018) justifie la progression du parc. L’amplitude des projets en cours de construction et la vision du gouvernement expliquent, à elles seules, la confiance des investisseurs et des promoteurs. Dans le secteur tertiaire l’implantation à Dubai de 350 directions régionales de groupes internationaux expliquent les 9 millions m2 de bureaux, (17 % du parc de la région parisienne) dont le taux de vacance constaté reste faible, à 8 %. Pour le logement les données sont moins précises mais on estime à 520 000 le nombre de logements, villas et résidences construites (dont on sait que beaucoup sont vides).

Entreprises comme résidents sont généralement locataires. On vient pour travailler à Dubai, plus rarement pour y vivre le restant de ses jours. Cela étant dit les ventes de résidences à des étrangers animent la commercialisation, les nationaux émiratis ne représentant que 8 % de la population totale. Les investisseurs privés étrangers, les plus actifs en 2017, sont (en valeur) d’origine indienne, pakistanaise, koweitienne, britannique, égyptienne, jordanienne, chinoise, libanaise, américaine, iranienne, russes et enfin afghane. Ce qui explique le développement du secteur éducatif, les établissements d’enseignement se multipliant pour accueillir une jeune génération cosmopolite et anglophone. Une des motivations de ces investisseurs est la sécurité garantie par Dubai à leur investissement, ou plutôt, l’insécurité de leur patrimoine dans leur pays d’origine. Dans cette partie du monde (à trois heures d’avion en moyenne), se trouvent les principaux foyers de conflit internationaux. Le cas afghan illustre bien cette situation. Un article du Monde, daté de juillet 2017, mentionne que sur 110 milliards de dollars injectés par la communauté internationale pour la reconstruction de l’Afghanistan depuis 15 ans, 70 ont quitté le pays, notamment vers Dubai.

Reidin, un organisme privé, complète de façon plus détaillée ces données. Pour le résidentiel et le tertiaire le marché est porté, depuis l’origine, par Nakheel et Emaar, promoteurs à capitaux d’État qui, aujourd’hui, ne contrôlent plus qu’un tiers des projets sur plan après avoir longtemps exercé un quasi-monopole. On observe également, depuis 2006, année depuis laquelle certains terrains et immeubles peuvent être acquis en pleine propriété par des étrangers, que 70 % du marché est désormais aux mains de promoteurs privés. Les plus actifs sont Azizi Developments (avec des fonds d’origine afghane), Damac Properties et Dubai Properties Group. La réglementation a tendance à durcir les règles prudentielles pour mieux protéger les investisseurs (seulement 60 % des opérations à construire le sont réellement). De plus les garanties de fonds propres sont mieux réglementées. Des effets de bords sont perceptibles, car ce sont des marchés encore en phase de croissance forte. L’ancien est naturellement très concurrencé par le neuf. La quête de qualité, la taille critique et la bonne tenue du locatif sauvent toutefois les investisseurs (à noter le succès des gated communities/lotissements fermés sécurisés). Dubai Land Department (sorte de ministère de la construction) a régulé strictement la commercialisation sur plan, ce qui a entraîné un mouvement de consolidation entre propriétaires de terrains, souvent inexpérimentés en immobilier et promoteurs et a rassuré investisseurs et banquiers. Les crédits accordés aux Émiratis aujourd’hui, sont à peu près au même niveau qu’aux États-Unis, les étrangers pouvant, eux, difficilement emprunter.

À Dubai, l’appréciation des placements immobiliers a atteint 120 % sur 10 ans, contre 65 % à Londres ou New York.

La performance financière en capital et revenu, quant à elle, est surprenante et remarquable pour tous les types d’investissements (retail, bureaux, résidentiel, hôtel) : à Dubai (comme à Singapour) l’appréciation du placement immobilier est de 120 % sur 10 ans (contre 65 % pour Londres et New York). Moralité : les idées reçues ont la vie longue, mais ne résistent pas à un peu de lecture et de bonnes sources !

Les quais du port de Jebel AliGetty images

Les quais du port de Jebel Ali
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Dans ce contexte économique, la question environnementale demeure vive. L’eau coule en abondance et on en consomme en moyenne 60 % de plus qu’en France, principalement à cause des immeubles (900 tours avec climatisation fonctionnant toute l’année pour résister à des températures pouvant atteindre 50°). L’eau potable provient à 95 % d’une usine de dessalement qui à son tour fonctionne avec des énergies fossiles. Dubai est ainsi le 8e pays émetteur de gaz effet de serre par habitant. C’est pourquoi le gouvernement multiplie les projets pour produire, dès 2020, 40 % d’énergie décarbonée et prévoit d’investir 150 milliards d'€ dans les énergies nucléaire, hydraulique et solaire. Pourtant des alternatives sont mises en œuvre pour faire mieux. The Sustainable City (à l’instar de Masdar City à Abu Dabi) sera la première tentative (à échelle réduite) de développement d’un cadre habitable autosuffisant et moins consommateur.

Qu’avons-nous à apprendre de cette ville qui interroge notre imaginaire ? Dubai nous est-elle encore étrangère ? Les mouvements de capitaux et de personnes sont si importants et en provenance de tant de pays que plus rien n’appartient réellement à Dubai, chacun emporte avec lui son idée de la ville, ses réserves ou son enthousiasme. Son futur sera smart et sustainable, promis juré ! Rendez-vous, donc, autour de ces thèmes, d’octobre 2020 à avril 2021 dans les allées de l’Exposition universelle.

Laurent Lehmann