CORONACRISE ET IMMOBILIER

Évolution des usages dans un marché au ralenti


Plus tard, on aura à cœur de mieux situer cette crise dans notre courte histoire civilisée, mais il est certain que l’immobilier va être à la peine. Les marchés, les constructions et les rénovations ont certes redémarré, mais à un rythme lent, du moins en France. Les ventes et les locations pour tous types d’actifs seront calmes pour une période de 18 mois au moins, si l’on se réfère à 2008. L’incertitude sur les prix sera l’une des préoccupations principales des vendeurs comme des acheteurs. Rien de vraiment nouveau.

Article original publié par la revue Office et Culture n°56 - Juin 2020

Métro Glacière, mardi 21 avril, 16h06

Métro Glacière, mardi 21 avril, 16h06

Il est, pour l’heure, plus pertinent de se pencher sur les usages. En premier lieu, il reste que, malade ou non, il faut bien loger chacun et abriter l’ensemble des fonctions nécessaires à nos activités humaines. En ville ou à la campagne, dans un modeste bourg ou dans une ville-monde vibrante, un toit demeure indispensable à chacun. Ceux qui n’en ont pas l’espèrent, ceux dont le logis est trop petit veulent plus grand, ceux qui sont mal localisés veulent déménager, ceux qui se séparent veulent un toit pour rebondir… il n’existe pas de cas où l’homme n’éprouve pas le besoin d’être protégé, où que ce soit sur notre planète. Les activités de production, le tertiaire, la logistique, les data centers, les hôtels, les maisons de santé, les commerces, les lieux de culture ont le besoin impérieux d’être abrités.

En revanche, ce qui va changer pour l’immobilier, c’est l’intensité d’utilisation. Tout ce que nous avons déjà construit et mis en œuvre va être interrogé, pesé, mesuré, rescénarisé. Restreindre le flux touristique, par exemple, aura des conséquences évidentes : l’offre actuelle d’hébergements et de restauration étant déjà excessive, cela pèsera mécaniquement sur la valeur de ces actifs, sur leur dimensionnement et leur localisation, c’est aussi simple que cela.

Un autre exemple concerne l’épuisement temporaire des forces vives. Las de la ville, nombre d’urbains caressent les chimères d’une autre vie, ailleurs, moins chère, plus équilibrée, le plus souvent, sans prendre vraiment en compte les contraintes de la vie professionnelle et en surestimant l’efficacité du travail à distance. Par exemple, on oublie fréquemment la fluidité inégalée de la communication non verbale et que le présentiel est plus fiable que le distanciel, particulièrement pour des transactions et des engagements à forts enjeux. Certes la performance du télétravail va s’améliorer, et se professionnaliser, et c’est heureux (rappelons-nous nos premiers pas un peu flous, avec des bruits parasites et la mine défaite, sur un plafond défraichi en guise de fonds scénique).

Nous sommes donc dans l’amorce d’un temps long où l’occupation des espaces tertiaires va diminuer. Le logement sera plus utilisé car une partie de la fonction de production y sera déportée. À la marge, de nouveaux projets métissant le meilleur des deux mondes seront au menu des cahiers des charges des aménageurs et on appellera cela de l’innovation. De fait, comme on l’a observé durant le confinement, à partir d’un certain âge, ceux qui sont déjà bien avancés dans leur vie professionnelle peuvent plus facilement s’éloigner et atteindre ce nouvel équilibre de vie. Des transferts auront donc lieu et de l’argent s’investira dans nos territoires, en espérant qu’ils ne se concentrent pas trop dans quelques riches métropoles, qui ont déjà repris bien des défauts de la région capitale.

Si un changement a sa chance, il viendra de là où est venue cette panique, que n’aurait pas reniée le crépusculaire Paul Virillo : du politique. Le monde politique traverse une épreuve, mais a aussi une opportunité de recentrer son action vers une nouvelle gouvernance pragmatique de l’aménagement du territoire, plus lisible et plus opérationnelle. Les innombrables données disponibles et les capacités de l’intelligence artificielle sont autant d’aides pour calibrer la production neuve, mais aussi planifier un vaste programme d’investisse- ment pour améliorer l’existant au bénéfice de tous. Une proposition hardie, voire hérétique, puisque l’on répète à l’envi que le salut de notre politique d’aménagement ne peut venir que des 35 000 communes françaises et des nombreuses collectivités territoriales diverses. Un chaos organisationnel qui, n’en doutons pas, résistera à un modeste virus.

Laurent Lehmann